La détermination médicolégale de l’âge osseux d’un mineur : intérêt, justification et limites
Vincent HAZEBROUCQ, MCU de radiologie
AP-HP et Université Paris 5 René Descartes

Les occasions ne manquent pas à la Justice de faire appel à la médecine pour l’aider à prendre en charge un mineur, qu’il soit en séjour irrégulier sur le territoire national, ou l’auteur d’une infraction, ou encore la victime d’un crime ou d’un délit. Ces demandes, de plus en plus fréquentes dans nos services posent une série de questions dont les réponses ne sont pas toujours aisées à trouver « à chaud ».

La détermination radiologique de l’âge d’un enfant est une réelle nécessité juridique…

Pour le mineur auteur (présumé) d’infraction, l’Ordonnance de 1945 a posé trois grands principes dans l’objectif général d’assurer la protection légale des enfants :

Qu’il s’agisse de la garde à vue, du régime particulier de l’excuse de minorité pour le prononcé et l’application des peines, ou de l’aggravation de la sanction envers le responsable d’une agression à l’encontre d’un mineur, plus d’une demi-douzaine de paliers chronologiques vont juridiquement influencer la prise en charge judiciaire ou policière :

-         une peine majorée est prévue pour les adultes qui exploitent des enfants de moins de 6 ans pour quêter sur la voie publique ;

-         un mineur de moins de 10 ans ne peut faire l’objet d’une garde à vue, ni d’une peine privative de liberté ;

-         entre 10 et 13 ans, la possibilité de garde à vue est très limitée, la détention provisoire impossible et la répression se limite à des mesures de sanctions éducatives en centres médico-psychologiques ;

-         au-delà de 13 ans, la garde à vue devient possible (mais limitée à 24 h jusqu’à 16 ans), ainsi que la détention provisoire, et des peines privatives de liberté peuvent être prononcées, limitées à la moitié de la peine d’un majeur ;

-         en ce qui concerne l’aggravation de la répression des violences sur les mineurs, l’âge critique est 15 ans (carences de soins, provocation à l’usage de produits illicites, de commission de délits, agressions sexuelles…) ;

-         l’âge de 16 ans est également à prendre en compte, puisqu’en deçà, l’excuse de minorité est obligatoire, alors qu’elle devient facultative après 16 ans, en fonction de la motivation de l’infraction.

-         L’âge frontière symbolique de 18 ans distingue évidemment les mineurs des majeurs, avec de nombreuses conséquences juridiques, bien au-delà de la question de la responsabilité de l’individu. Par exemple, indépendamment des précisions données pour les autres tranches d’âge, il n’y a pas de possibilité de reconduite à la frontière d’un mineur étranger en situation de séjour irrégulier. À noter encore que les majeurs étrangers de 18 à 21 ans en séjour irrégulier peuvent dans certaines circonstances bénéficier d’une assistance spécifique.

Cette longue énumération, pourtant non exhaustive, justifie aisément le besoin des magistrats et enquêteurs de disposer d’une détermination précise et rapide de l’âge d’un enfant ou d’un adolescent, d’autant que les délinquants chevronnés connaissent pertinemment l’intérêt de minorer leur âge lorsqu’ils se font arrêter. La justice aimerait donc que la médecine - et notamment la radiologie qui présente le grand intérêt judiciaire de fournir des documents que l’on peut archiver et éventuellement réinterpréter- lui propose des méthodes simples, économiques et fiables pour l’aider à classer sans ambiguïté les individus dans ces classes d’âges.

… un sujet éthiquement débattu…

Cependant, les médecins, notamment pédiatres et radiologues, savent que leurs outils actuels sont imprécis et qu’aucun argument médical ne permettra d’établir une différence formelle entre un mineur de 17ans, 11 mois et 30 jours et le majeur qu’il devient en quelques instants… la médecine ne peut pas être aussi précise que le droit, en la matière !

À la demande de madame Claire Brisset, la ‘Défenseure des enfants’ de l’époque, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) s’est penché en 2004 sur « la question posée par le recours à des techniques radiologiques et à l’examen de l’état pubertaire à des fins d’estimation de l’âge d’un enfant ou adolescent sur un plan juridique ». Cet avis n°88 du CCNE est particulièrement sévère sur cette pratique, mais reconnaît néanmoins que cette estimation est juridiquement nécessaire, en dépit de ses importantes imperfections ; il recommande que les résultats soient rendus avec une très grande prudence dans leur formulation, en indiquant systématiquement une ‘fourchette large’ d’âge probable et en soulignant la possibilité d’une marge d’erreur. Le CCNE recommande également aux médecins chargés de cette évaluation de veiller scrupuleusement au respect des personnes examinées et notamment à leur information sur la nature des actes pratiqués ainsi qu’au recueil de leur consentement.

… un cas particulier pour la radioprotection…

La Directive Euratom 97-43 a prévu spécifiquement le cas des expositions aux rayonnements ionisants en vue de procédures médico-légales, pour lesquelles elle apporte des précisions sur l’application spécifique des grands principes de radioprotection :

Justification (art. 3 DE 97/43) :

« …d) une attention particulière est accordée à la justification des expositions à des fins médicales, qui ne présentent pas un avantage médical direct pour la personne qui les subit, et plus particulièrement des expositions requises pour des raisons médico-légales.»

Optimisation (art. 4 DE 97/43)

« …c) (Les États membres) veillent à ce qu'une attention particulière soit accordée au maintien au niveau le plus faible raisonnablement possible de la dose découlant d'expositions à des fins médico-légales …»

Limitation et responsabilité (art. 5 DE 97/43)

« 4. Les États membres veillent à l'établissement des procédures qui doivent être observées en cas d'examens à des fins médico-légales.»

Ces exigences européennes ont été transposées en France dans le Code de la santé publique. L’article L. 1333-1 qui établit la doctrine légale française du principe de justification [1], indique la possibilité d’une motivation sociale à la justification de la procédure (ici la demande judiciaire d’établissement de l’âge d’un mineur pour le faire bénéficier de la protection légale spécifique que son âge nécessite) et est complété par l’article R. 1333-65 [2] consacré spécifiquement à ces expositions médicales n’ayant pas de bénéfice médical direct pour l’intéressé.

Le principe de justification impose en général une demande écrite (ici la réquisition policière ou judiciaire ou l’ordonnance d’expertise médicale ou radiologique) ; cette demande doit, ici comme toujours, être confirmée par le médecin qui réalise l’examen et l’interprète et qui doit vérifier que la réponse n’est pas déjà connue par ailleurs ou qu’une méthode non exposante ne serait pas disponible pour répondre aussi bien au besoin judiciaire. Le médecin doit aussi veiller à expliquer son acte au mineur examiné et à lui faire admettre que l’examen est pratiqué dans son intérêt, pour le faire bénéficier le cas échéant de la protection légale due aux mineurs. En cas de refus, il ne doit pas réaliser l’examen sous contrainte, mais rédiger un rapport de carence précisant que l’intéressé a refusé l’examen malgré les explications qui lui ont été données.

Le principe d’optimisation invite à ne pratiquer que les radiographies les plus appropriées ; toutefois, l’imprécision avérée des méthodes radiologiques nécessite ici, en raison des importantes conséquences légales ou réglementaires, de recouper les résultats de plusieurs techniques d’évaluation (par exemple le coude et le poignet), surtout lorsque l’individu a un âge proche d’un palier chronologique important dans son cas juridique.

Le principe de limitation s’applique pleinement aux expositions médico-légales, à la différence des expositions avec bénéfice médical direct pour l’intéressé. En principe, selon l’article R 1333-65 (op. cit.) nous devrions donc disposer de protocoles scientifiquement établis et de contraintes de doses définies par un arrêté du Ministre chargé de la Santé. Ces protocoles restent à établir et il a récemment été convenu entre les Sociétés françaises de radiologie et de médecine légale de travailler conjointement dans ce but.

À noter que l’application des règles de radioprotection ne s’interrompt pas pour l’étude radiologique de l’âge osseux et dentaire d’un enfant décédé, puisque subsiste l’impératif de radioprotection des travailleurs (le radiologue et ses aides). Dans tous les cas, la nécessité d’une formation spécifique à la radioprotection[3] s’impose, ainsi que le respect des principes de justification et d’optimisation. En revanche, il n’y a évidemment plus de limitation de l’exposition du corps.

…et un acte techniquement délicat

La meilleure réponse éthique à l’imprécision des techniques actuelles sera de susciter de nouvelles recherches scientifiques pour (1°) préciser la valeur réelle sur les populations diversifiées actuellement présentes en France, des critères classiques autrefois établis sur un nombre restreint de sujets d’origines ethniques souvent homogènes et très largement différentes de celles des individus sur lesquels ces méthodes sont actuellement appliquées[4] ; (2) à plus long terme pour tenter de développer des méthodes plus précises, plus exactes et fiables et si possible non exposantes, rapides, économiques et faciles à mettre en œuvre en tous lieux.

En attendant ces éventuels résultats scientifiques, le radiologue hospitalier doit bien connaître le principe, les critères et les limites des différentes méthodes actuellement disponibles [5] : étude radiologique du coude selon la méthode de Sauvegrain et Nahum, étude radiologique du poignet gauche selon Greulich et Pyle, Tanner et Whitehouse (TW2) ou Michel Sempé, orthopantomogramme ‘panoramique’ dentaire, etc. ; il existe d’autres sites anatomiques, peu exploités en clinique courante mais d’intérêt médicolégal particulier, puisque leurs évolutions morphologiques correspondent aux paliers juridiques ci-dessus évoqués, comme par exemple la clavicule[6]… Leur description appartient à la compétence technique radiologique, qui dépasse le cadre de cet article.

…Quelques recommandations pratiques

Il convient d’utiliser les méthodes les plus adaptées à l’âge apparent de l’intéressé, quitte à les compléter secondairement en fonction des premiers résultats, les interpréter prudemment en formulant l’estimation sous la forme d’une fourchette assez large[7], et savoir exprimer les réserves classiques, éventuellement renforcées en cas de carence nutritionnelle, de suspicion médicale d’un retard de croissance ou d’une maturation précoce…

Enfin et surtout, le radiologue doit questionner les enquêteurs ou le magistrat qui lui réclament l’examen pour connaître précisément les questions qu’ils se posent : il est à l’évidence bien plus délicat de répondre à un mission générale et imprécise du type « établir radiologiquement l’âge osseux et dentaire de Mlle XX » que de « …dire, au vu d’une étude radiologique de l’âge osseux et/ou dentaire si M. X a comme il le prétend moins de 13 ans, ou s’il a plus vraisemblablement un âge supérieur à 18 ans, comme l’indiquent les premiers indices des investigations policières ».

À cette dernière question, le radiologue pourra sans doute au terme de ses investigations conclure que l’ensemble des arguments médicaux et radiologiques sont plutôt compatibles avec la première, la seconde ou parfois aucune des deux hypothèses… Il est souvent bien plus facile, au plan médico-légal, d’exclure formellement une hypothèse (‘fermer une porte’, disent les enquêteurs), que d’en démontrer formellement une autre.

Pour conclure, cette thématique donne l’occasion d’insister, une fois de plus, sur l’intérêt de préparer à froid un protocole, voire un dossier documentaire, toujours disponible dans le service, afin d’être en mesure de répondre sereinement à tout instant à une demande souvent exprimée dans une ambiance pesante, sinon tendue. Ici comme ailleurs, la compétence médicale et technique sera un élément déterminant pour ‘calmer le jeu’.


 

[1] Art L. 1333-1 CSP : « Une activité nucléaire … ne peut être entreprise ou exercée que si elle est justifiée par les avantages qu'elle procure, notamment en matière sanitaire, sociale, économique ou scientifique, rapportés aux risques inhérents à l'exposition aux rayonnements ionisants auxquels elle est susceptible de soumettre les personnes … »

[2] Art R. 1333-65 CSP : « Lorsqu'une exposition aux rayonnements ionisants à des fins médicales ne présente pas de bénéfice médical direct pour la personne exposée, en particulier lors des expositions effectuées dans le cadre de la recherche ou de procédures médico-légales, le médecin réalisant l'acte doit accorder une attention particulière à la justification et à l'optimisation de celui-ci, en déterminant notamment une dose maximale de rayonnement… Un arrêté du ministre chargé de la santé précise les modalités d'établissement et de validation des contraintes de dose et des niveaux cibles de dose. »

[3] CSP Article L1333-11 2è alinéa : « … Les professionnels pratiquant des actes de radiodiagnostic, de radiothérapie ou de médecine nucléaire à des fins de diagnostic, de traitement ou de recherche biomédicale exposant les personnes à des rayonnements ionisants et les professionnels participant à la réalisation de ces actes et à la maintenance et au contrôle de qualité des dispositifs médicaux doivent bénéficier, dans leur domaine de compétence, d'une formation théorique et pratique, initiale et continue, relative à la protection des personnes exposées à des fins médicales relevant, s'il y a lieu, des dispositions de l'article L. 900-2 du Code du travail. »

[4] V. notamment sur cette question GROELL R et coll. (BJR 1999, 72 : pp. 461-464, pour l’application de la méthode de Greulich & Pyle sur des enfants originaires d’Europe centrale), MORA S et coll (Ped Research 2001, 50 : pp. 624-628 pour la comparaison des résultats de la méthode de Greulich & Pyle sur des enfants Nord-Américains d’origine Européenne et Africaine), ONTELL FK et coll.(AJR 1996, 167 : pp. 1395-1398 pour une comparaison sur des Américains d’origine européenne, africaine, asiatique et hispanique)

[5] Ce sujet a fait l’objet d’assez nombreuses publications scientifiques récentes, dont quelques unes seulement sont citées ici, ainsi que d’une séance scientifique lors des JFR 2006, dont découle en partie la présente chronique et qui était organisée par la SFR et par la SFMLC.

[6] Voir notamment KREITNER KF et coll., Eur Radiol 1998, 8 (7) pp. 1116-1122

[7] Plusieurs outils logiciels, comme par exemple MATUROS (établi sur le fondement des travaux du Pr Michel SEMPE) et distribué gracieusement par le laboratoire SERONO France, L’Arche du Parc, 738 rue Yves Kermen – 92100 BOULOGNE), facilitent à la fois la cotation radiologique de l’âge osseux, et l’expression probabiliste de son résultat.