Le beurre, l’argent du beurre et le cœur de la crémière

Radiovigilance, SRH-Info, décembre 2005
Vincent HAZEBROUCQ, MCU-PH de radiologie, AP-HP et Université Paris 5 René Descartes,
directeur du D.U. d’imagerie médico-légale de Paris 5

La jurisprudence des tribunaux administratifs ou civils permet bien souvent d’éclairer des zones d’ombres de nos statut ou de nos pratiques, sur lesquelles nous ne nous serions pas toujours spontanément interrogés. C’est ainsi qu’il a semblé utile d’informer largement les membres du SRH, lecteurs attentifs de la présente chronique, des conclusions auxquelles le Conseil d’État est parvenu en juillet dernier, après examen attentif de notre statut, à propos de l’utilisation privée par un radiologiste PH à temps partiel d’un scanner et d’un angiographe numérique partagés par convention entre l’hôpital et le privé.

Avant de considérer le détail de la présente affaire, il convient de rappeler pour le radiologiste qui l’ignorerait qu’il existe en France, depuis la Révolution de 1789, deux ordres de juridictions : pour respecter le principe de séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire), les tribunaux judiciaires ‘de droit commun’ ne peuvent - en principe - s’immiscer dans fonctionnement de l’administration prolongement du pouvoir exécutif.

Au Conseil du Roi, de l’Ancien régime, a donc succédé un ordre juridictionnel administratif ad hoc, placé sous l’autorité suprême du Conseil d’État, et qui comprend hormis celui-ci, des tribunaux administratifs et des Cours administratives d’appel. En cas de conflit mettant en cause une administration, par exemple un hôpital public, ce sont donc les tribunaux administratifs qui doivent être saisis, dans le respect du Code de justice administrative.

L’arrêt ci-dessous reproduit, et qui clôt une procédure judiciaire de près d’une dizaine d’années, le Conseil d’État rappelle de façon claire et définitive - du moins tant que les textes législatifs ou réglementaires n’auraient pas été modifiés :

-         que si l’hôpital peut partager par convention avec des médecins libéraux l’utilisation d’un équipement lourd tel qu’un scanner X, un angiographe numérique ou un imageur à RM …

-         et que si un PH temps plein peut, sous certaines conditions d’activités bien précises, utiliser pour son activité libérale des équipements lourds de l’hôpital qui l’emploie (que ces appareils soient ou non exclusivement dédiés à l’hôpital) ;

-         cependant, un PH à temps partiel, dont le statut (organisé par le décret n°85-384 du 29 mars 1985) est à la fois différent de celui des PH à temps plein (organisé par le décret 84-131 du 24 février 1984) et de la situation des praticiens exclusivement libéraux, n’a pas la possibilité légale de revendiquer d’activité libérale sur son mi-temps hospitalier, pas plus qu’il n’a le droit, sur son second mi-temps libéral, de revenir travailler sur les équipements lourds partagés avec la ville. En clair, il ne peut donc travailler sur ces équipements lourds que dans le cadre de son temps partiel hospitalier.

Ainsi, bien que le statut de PH à temps partiel vise, pour les praticiens concernés, à concilier autant que possible les droits et devoirs des deux grandes formes d’exercice de la médecine en France, il ne leur garantit pas la totalité des avantages de chacune de ces deux situations, et doit également défendre les intérêts du service public hospitalier.

On ne peut donc pas, nous rappelle le Conseil d’État, mais en termes bien plus sérieux que ceux du fameux adage récemment et incomplètement rappelé par un ancien Premier ministre de la République, revendiquer simultanément « le beurre, l’argent du beurre et le cœur (sinon le reste…) de la crémière » !

--------------------------------------------------------------------------------------

Conseil d'État, 27 juillet 2005, Jean-Marc X (exercice d'activité privé - praticien à temps partiel - accès aux équipements lourds de l'hôpital au titre des activités privées)

RÉPUBLIQUE FRANC AISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les … juin 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés pour M. X…, demeurant ... ; M. X… demande au Conseil d'État d'annuler l'arrêt du … 2002 par lequel la cour administrative d'appel de L… a rejeté sa demande tendant :

1) à l'annulation du jugement du … 1998 par lequel le tribunal administratif de D… a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de N… à lui rembourser le montant des honoraires que ledit centre hospitalier a irrégulièrement perçus à sa place ;

2) à la condamnation du centre hospitalier de N… à lui verser la somme de 276 950,63 F (42 220,85 euros), représentant le montant des honoraires qui lui restent dus, assortis des intérêts de droit à compter du … 1995, ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière ;

Vu la loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d'ordre social ;

Vu le décret n° 85-384 du 29 mars 1985 portant statut des praticiens exerçant leur activité à temps partiel dans les établissements d'hospitalisation publics ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul Marie Falcone, Conseiller d'État,

- les observations de la SCP …, avocat de M. X… et de la SCP…, avocat du centre hospitalier de N…,

- les conclusions de M. Stéphane Verclytte, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. X…, praticien hospitalier à temps partiel, a demandé aux juges du fond d'annuler la décision du centre hospitalier de N… refusant de lui reverser la part des honoraires qu'il soutient lui être dus, pour la période du 26 juillet 1990 au 27 décembre 1993, au titre de l'utilisation, pour sa clientèle privée, du scanographe et de l'équipement d'angiographie digitalisée du centre, activité qui aurait été autorisée par une convention passée avec l'hôpital et dont l'entrée en vigueur à compter du … 1990 aurait été reconnue par un jugement du tribunal administratif de D…, non frappé d'appel, en date du … 1994 ; que M. X… demande l'annulation de l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a confirmé le jugement par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa requête ;

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 25-1 de la loi du 31 décembre 1970 susvisée portant réforme hospitalière, modifiée par la loi du 27 janvier 1987 susvisée portant diverses mesures d'ordre social, dans sa rédaction applicable au présent litige : Dès lors que l'intérêt du service public hospitalier n'y fait pas obstacle, les praticiens statutaires exerçant à temps plein dans les établissements d'hospitalisation publics sont autorisés à exercer une activité libérale dans les conditions définies au présent chapitre ; que ces dispositions ouvrent aux seuls praticiens hospitaliers exerçant à temps plein, la possibilité, dans les conditions définies aux articles 25-2 et suivants de la loi, d'exercer une activité privée au sein des services de l'hôpital ; que M. X… exerçant à temps partiel ses fonctions de praticien hospitalier, c'est par une exacte application de la loi que la cour administrative d'appel de L… a estimé que M. X ne pouvait se prévaloir de ces dispositions ;

Considérant, en deuxième lieu, que M. X ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article 25 du décret du 29 mars 1985 portant statut des praticiens exerçant leur activité à temps partiel dans les établissements d'hospitalisation publics, qui autorisent les praticiens à temps partiel à exercer une activité rémunérée en dehors de leur service à l'hôpital, cette disposition, qui autorise les praticiens concernés à exercer les activités privées extérieures à l'hôpital, ne leur ouvrant pas l'accès aux équipements lourds de l'hôpital au titre de ces activités privées ; que M. X, praticien hospitalier est placé, à cet égard dans une situation différente de celle des praticiens exerçant exclusivement en ville, lesquels peuvent, si les nécessités du service public le justifient, bénéficier dans certaines conditions d'un tel accès ; que c'est par une exacte interprétation de ce texte que la cour a jugé qu'il n'autorisait pas M. X… à bénéficier, pour sa clientèle privée, de l'accès aux équipements susmentionnés de l'hôpital ;

Considérant, en troisième lieu, que si M. X… invoque les articles R. 714-29 et R. 714-34 du code de la santé publique selon lesquels les centres hospitaliers... peuvent être autorisés à créer des structures d'hospitalisation spécifiques, ces structures visent des patients dont l'état nécessite une hospitalisation ; que M. X… n'allègue pas avoir exercé son activité dans le cadre d'une telle structure qui aurait été crée par le centre hospitalier de N… ; qu'il ne pouvait par suite se prévaloir utilement de ces dispositions devant la cour administrative d'appel ;

Considérant, en quatrième lieu, que M. X… soutient que l'arrêt attaqué méconnaîtrait l'autorité de la chose jugée par le jugement du tribunal administratif de D… du …1994 devenu définitif, reconnaissant l'entrée en vigueur, de la convention par laquelle l'hôpital l'avait autorisé à accéder à ses équipements lourds ; que ce jugement ne s'étant prononcé que sur l'existence de cette convention sans statuer sur sa légalité, la cour administrative d'appel n'a pas méconnu l'autorité de la chose jugée en estimant que cette convention n'avait pu légalement être conclue ;

Considérant, en dernier lieu, que M. X… soutient que l'arrêt attaqué aurait renversé la charge de la preuve en ne tenant pas compte du fait que le centre hospitalier de N...  n'aurait pas contesté l'évaluation des honoraires dont il demandait la restitution et aurait, ainsi, acquiescé à ses prétentions ; que la cour, en statuant, par des motifs d'ailleurs surabondants, sur l'évaluation de l'activité privée de M. X… au sein de l'hôpital s'est livrée, sans renverser la charge de la preuve, à une appréciation souveraine des faits de l'espèce ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X… n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Lyon a confirmé le jugement par lequel le tribunal administratif de D… a rejeté sa requête ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le centre hospitalier de N… tendant à ce que soit mis à la charge de M. X… une somme de 2 500 euros en application de ces dispositions au titre des frais exposés par le centre hospitalier et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. X… est rejetée.

Article 2 : La somme de 2 500 euros est mise à la charge de M. X… au profit du centre hospitalier de N…, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. X…, au centre hospitalier de N… et au ministre de la santé et des solidarités.