Dépistage radiologique du cancer du sein et responsabilité
du médecin radiologiste hospitalier

Docteur Vincent HAZEBROUCQ, radiologiste des hôpitaux de Paris et maître de conférences de l’Université Paris 5 - René Descartes
(
vincent.hazebroucq@univ-paris5.fr)

Le congrès 2005 de la Société Française de mastologie et d’imagerie du Sein, (Versailles, 2 et 3 juin 2005) a montré que de nombreux radiologues s’inquiètent désormais des responsabilités générées par le cadre particulier des campagnes de dépistage organisé du cancer du sein.

Il a donc semblé utile de rappeler à cette occasion les règles de base de la mise en cause de la responsabilité du radiologue et de donner ensuite quelques indications utiles à ceux de nos collègues qui participent à la structuration des campagnes de dépistage.

Le B-A-BA de la responsabilité médicale du radiologiste hospitalier

Il n’est peut-être pas encore inutile de rappeler ici - en priant les lecteurs réguliers de cette chronique de bien vouloir bien nous pardonner cette répétition- qu’il faut distinguer plusieurs formes de responsabilités du médecin radiologiste dans l’exercice de ses fonctions :

-         Responsabilité pénale :lorsque l’on a violé une loi réprimant une infraction (= contravention, délit ou crime), on s’expose à une sanction, le plus souvent une amende, parfois une peine d’emprisonnement ou de réclusion,éventuellement avec sursis ;

-         Responsabilité indemnitaire civile, pour un radiologiste libéral, ou hospitalière, pour un radiologiste exerçant dans le cadre du secteur public hospitalier : lorsque l’on a provoqué un préjudice, la loi impose d’en dédommager la victime ;

-         Responsabilité disciplinaire, notamment ordinale : lorsqu’on a enfreint le code de déontologie, on encourt une sanction disciplinaire, telle qu’un avertissement, un blâme, etc ;

-         Responsabilité économique, envers les tiers payeurs des soins médicaux : lorsque l’on a occasionné à l’assurance maladie des frais inutiles ou illégitimes ou encore qu’un acte n’a pas été parfaitement régulier (par exemple que le compte-rendu ne comporte pas les renseignements cliniques), l’organisme de sécurité sociale peut en demander le remboursement sur le patrimoine du radiologiste et dans les cas les plus graves demander l’interdiction au médecin de prodiguer des soins aux assurés sociaux.

Le présent article se focalise sur la responsabilité indemnitaire du dépistage radiologique du cancer du sein

En vue de l’obtention d’une indemnisation, la personne qui se pense victime d’une erreur médicale peut (depuis la loi 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé) faire le choix de saisir la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CRCI). Celle-ci, après examen du dossier et au besoin d’une expertise médicale, pourra lui indiquer si le dommage allégué est réel et s’il résulte d’une faute ou bien d’un aléa :

- Dans le second cas, l’indemnisation est à la charge de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), à la condition que le préjudice dépasse un certain seuil de gravité médicale (IPP supérieure ou égale à 25%). Si le dommage est moindre, il n’y a pas de possibilité d’indemnisation.

- Dans le premier cas - s’il y a eu une faute médicale ou d’organisation d’un établissement de santé - la victime est invitée à se retourner contre l’assureur qui couvre l’hôpital dans lequel la faute a été commise, ou l’assureur personnel du praticien hospitalier dans le très rare cas particulier d’une faute détachable de la fonction.

Au plan procédural, le patient doit obligatoirement commencer par un recours gracieux, courrier adressé à l’hôpital indiquant la faute alléguée, le préjudice revendiqué et le lien de causalité qui relie la faute au dommage. L’hôpital et son assureur peuvent soit reconnaître la faute et proposer une indemnisation amiable, soit la contester et refuser la demande. La victime doit alors saisir le tribunal administratif pour tenter de faire condamner l’hôpital à l’indemniser.

La victime peut également choisir de ne pas saisir la CRCI pour engager directement une procédure juridique contre l’hôpital. Cette procédure débute donc par le recours amiable. Après une procédure écrite, régie par le Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appels, le tribunal administratif peut soit donner satisfaction à la victime si la faute est reconnue ainsi que le préjudice, soit rejeter la demande. Un appel alors est possible devant la Cour administrative d’appel, ainsi éventuellement qu’une procédure de cassation devant le Conseil d’État, si l’une des parties estime que les règles procédurales ou la décision ne sont pas conformes au droit administratif.

Cas particulier du dépistage organisé du cancer du sein

Tout ce qui vient d’être dit est généralement applicable à une faute médicale ou d’organisation des soins survenue dans le cadre du service public hospitalier. Ce serait donc le cas d’une erreur fautive survenant lors de la première lecture d’un examen mammographique de dépistage réalisé dans le cadre du fonctionnement normal du service hospitalier de radiologie, ou d’une faute dans la réalisation technique de cet examen. Mais qu’en serait-il pour le radiologiste hospitalier second lecteur, ou coordinateur médical d’une campagne de dépistage ou encore président d’une structure départementale ou interdépartementale de gestion du dépistage organisé ? Les choses se compliquent en effet encore un peu dans ces hypothèses.

Mais restons encore un instant avec notre PH de radiologie premier lecteur, pour tenter de préciser un peu la notion d’erreur fautive en radiologie.

- En dehors du cadre spécifique du dépistage organisé, par exemple, lors d’un acte mammographique de diagnostic individuel, le juge apprécie la faute en comparant les actes réalisés par le médecin mis en cause avec ceux qu’aurait réalisé un autre médecin normalement compétent et normalement diligent, dont les bonnes pratiques sont la traduction médicale de l’obligation de moyens (notion juridique à distinguer d’une obligation de résultat). Pour les connaître, il a habituellement recours à un expert médical, chargé d’établir la vérité des actes pratiqués, d’indiquer les bonnes pratiques et de dire si l’attitude du médecin est réellement ou non critiquable, s’il a commis une simple erreur ou bien une faute, de l’expliquer, et d’évaluer la réalité et la sévérité du dommage éventuel.

- Dans le cas particulier du dépistage, l’analyse de la conduite du radiologiste premier lecteur s’écarte clairement de la norme de l’obligation de moyens : ici, l’expert doit confronter ce qui a été fait aux obligations pré-établies du médecin radiologiste, telles qu’elles résultent du cahier des charges et du règlement de la campagne de dépistage. Il importe donc au plus haut point de prendre en compte la date des faits, afin de déterminer quelle version du cahier des charges doit être considérée.

Le radiologiste mis en cause devra donc établir qu’il a bien respecté toutes ses obligations, depuis l’obligation de formation, de contrôle technique de son installation, et le protocole médical prévu par la campagne de dépistage.

Ainsi, par exemple, pour un examen de dépistage effectué avant 2001, la responsabilité hospitalière ne pourrait pas être mise en cause en reprochant au médecin de n’avoir réalisé qu’un seul cliché sans examen clinique ni interrogatoire sur les facteurs de risque, puisque la première version du cahier des charges, publiée en mars 1995, prévoyait un examen simplifié, limité à un seul cliché. En revanche, depuis l’application de la seconde version du cahier des charges national, ces reproches seraient recevables.

Il ne pourrait pas non plus être reproché à la structure départementale organisatrice du dépistage d’avoir imposé un protocole conforme au cahier des charges national, et que la patiente considérerait comme insuffisant. Ce reproche ne serait pas recevable, puisque le cahier des charges a été régulièrement établi en annexe d’un arrêté ministériel pris en application d’une loi de santé publique.

En revanche, il est vraisemblable que le juge pourrait accueillir favorablement une demande d’indemnisation fondée sur l’argument d’une insuffisante information de la patiente et de sa famille sur les limites de la garantie apportée par le dépistage systématique, comparé notamment au dépistage individuel. Il importe donc, ici comme ailleurs, de donner à la patiente les éléments d’appréciations suffisantes pour qu’elle donne un consentement éclairé à l’acte proposé, et en conserver la preuve, sous une forme ou une autre, en prévision d’un éventuel litige.

Cas du radiologiste second ou troisième lecteur

Si le radiologiste effectue la seconde lecture dans le cadre de ses fonctions hospitalières, le raisonnement ci-dessus indiqué reste valable : l’indemnisation est en principe à la charge de l’hôpital, et le juge administratif appréciera la réalisation de la seconde lecture par référence aux obligations indiquées dans le règlement de la campagne de dépistage et une erreur d’appréciation ne pourra être sanctionnée que si elle s’accompagne de l’irrespect d’une consigne, comme par exemple une fiche de lecture incomplètement remplie, etc.

Si le radiologiste effectue ce travail indépendamment de ses fonctions hospitalières, il devra répondre personnellement de ses actes, avec une procédure effectuée auprès du Tribunal de grande instance. En cas de condamnation, ce serait à l’assurance professionnelle personnelle du radiologue (et non plus à l’assureur de l’hôpital) de verser l’indemnisation obtenue par la victime. Le juge civil, assisté d’un expert, suivrait toutefois la même démarche pour apprécier la qualité de la conduite du radiologiste, en la comparant aux obligations qui résultent du règlement local de la structure de dépistage et au cahier des charges national.

Dans tous les cas, la participation du praticien hospitalier à une campagne de dépistage radiologique organisé du cancer du sein doit être signalée à l’assureur personnel du médecin, idéalement par lettre recommandée avec accusé de réception.

Responsabilité propre de la structure de gestion de la campagne de dépistage organisé, de son coordinateur médical et de son président

La structure de gestion n’exerce pas directement la médecine et ne peut donc pas se voir imputer une faute médicale. Mais elle assume en revanche la responsabilité administrative de l’organisation de la campagne et pourrait être mis en cause en cas d’une anomalie survenue à l’occasion de la réception des clichés et de l’organisation de leur relecture, ou bien de la communication du résultat, ou encore d’une insuffisante vigilance sur les procédures de démarche qualité exigibles des divers intervenants de la campagne.

Cette hypothèse a au demeurant été prévue dès l’origine par les auteurs des cahiers des charges nationaux :

Dans la première version, de mars 1995, le paragraphe F « Assurance et risque de procès » précise : « Il est inévitable que des femmes ayant fait l'objet du dépistage meurent ultérieurement d'un cancer du sein, puisque même dans les conditions optimales, le dépistage ne réduit que de 30 à 40 % la mortalité par cancer du sein. Des procès seront donc intentés par des particuliers contre les structures organisant le dépistage. C'est pourquoi des assurances doivent être prévues pour les structures départementales en complément des assurances individuelles des radiologistes et des anatomo-cytopathologistes. Ces assurances doivent notamment couvrir les erreurs de transmission des comptes-rendus, erreurs dans l'interprétation collective de la 3ème lecture, erreurs dans le contrôle de qualité etc. »

La seconde version du cahier des charges national, du 27 septembre 2001 est encore plus explicite ; elle indique d’une part : « Les radiologues souhaitant participer au dépistage organisé du cancer du sein s'engagent à respecter les contraintes du présent cahier des charges, à pratiquer selon un même engagement de qualité tout dépistage du cancer du sein chez les femmes de 50 à 74 ans dans le cadre du dispositif de dépistage organisé et chez celles qui se présentent spontanément …Le radiologue ou l'organisme qui réalise l'acte de dépistage organisé reste en tout état de cause responsable du diagnostic prononcé … ». D’autre part, elle souligne à nouveau la nécessité d’une assurance spécifique dans un paragraphe 1.6.2. intitulé « Assurances ». « L'acte de dépistage est un acte de médecine préventive. Il peut donc faire l'objet comme tout acte médical de réclamations et de procédures mettant en cause la responsabilité des praticiens.

Chaque praticien participant au programme de dépistage doit donc être assuré en responsabilité civile professionnelle de manière individuelle et prévenir son assureur qu'il participe au programme.

En plus des assurances individuelles de chaque praticien, la structure de gestion doit être assurée pour l'ensemble des erreurs administratives possibles du fait de l'organisation du dépistage : non-transmission ou erreur de transmission des résultats, erreur d'imputation d'un résultat. »

La répartition des rôles entre le médecin coordinateur et le président de la structure de gestion est partiellement précisée par le cahier des charges national et devrait logiquement être décrite dans le règlement intérieur de la structure de gestion.

En principe, le médecin coordinateur a la responsabilité du suivi des dossiers « positifs », et de l’évaluation de la qualité de la campagne ainsi que de ses résultats. Sa mise en cause pourrait par exemple être fondée sur l’acceptation trop indulgente de clichés techniquement insuffisants, s’il était considéré par l’expert, suivi par le juge qu’un cancer n’aurait pas été diagnostiqué du fait d’une qualité trop médiocre des clichés. Cette mise en cause ne serait évidemment pas exclusive de celle du premier lecteur, sous le contrôle duquel les clichés auraient été réalisés, ni de celle d’éventuels 2è et 3è lecteurs à qui l’on est aussi en droit de reprocher d’avoir accepté de donner un avis sur des clichés manifestement insuffisants.

Le président de la structure de gestion assure de son côté la représentation légale de la structure ; à ce titre, il en supporte la responsabilité financière, ainsi que celle de la régularité des statuts et du règlement intérieur par référence au cahier des charges national.

En conclusion, l’attention du lecteur est attirée sur deux aspects pratiques :

-         L’extrême vigilance nécessaire pour la signature et la mise à jour de sa police d’assurance de responsabilité civile professionnelle - défense et protection juridique. Il faut notamment prévenir par LR-AR l’assureur de toute modification significative de l’activité professionnelle, sous peine de se trouver à découvert le jour où survient un pépin. Celui-ci se transformerait alors en très gros ennuis…

-         L’importance croissante de bien lire – voire le cas échéant de bien rédiger - les cahiers des charges, règlements intérieurs, statuts associatifs, protocoles radiologiques, etc., qui régissent nos activités.

Au 21è siècle il n’est malheureusement plus suffisant pour prémunir des soucis juridiques de faire son travail le mieux possible en comptant sur son talent et sur sa chance. Il importe aussi de prendre quelques précautions juridiques élémentaires, ce pourquoi les médecins ont généralement à la fois une faible appétence et une médiocre formation initiale. Les aléas de la vie se chargent de nous rappeler un jour ou l’autre cette nécessité, mais un peu tard et douloureusement…