Dossier médical : actualités juridiques 2005-2006
(mise à jour du 24 octobre 2007)
Vincent HAZEBROUCQ, MCU-PH de radiologie

Le dossier de santé du patient fait l’objet depuis quelques années d’une sollicitude remarquable de la part des juristes français ainsi que du législateur.

D’évidence, cet intérêt nous indique que collectivement les médecins n’ont pas été suffisamment performants et attentifs aux attentes de leurs patients à ce propos et nous invite à nous y intéresser désormais de plus près. Votre chroniqueur se propose de profiter de trois actualités juridiques relatives au dossier médical pour proposer un point sur ce sujet.

L’épopée du dossier médical

Historiquement, le dossier médical était ce qu’étymologiquement son nom évoque clairement, à savoir le dossier du médecin,
rédigé et conservé par le praticien pour son propre usage, principalement aux fins d’assurer la continuité et la qualité de sa prise en charge.

Ce dossier était tellement ‘la propriété’ du médecin qu’il était naguère banal qu’un chef de service hospitalier allant exercer dans un autre hôpital emporte avec lui tous les dossiers du service… Ce dossier servait classiquement aussi pour l’enseignement des étudiants hospitaliers, pour les recherches cliniques, souvent conduites à posteriori, et devait encore, selon le Règlement des archives de France de 1968 être parfois conservé ‘indéfiniment’ à titre historique, en vue d’éventuelles études ultérieures.

Puis est venu le temps du dossier de l’hôpital

Dans un nombre croissant d’établissements d’hospitalisation, la constitution d’archives centrales a été proposée pour éviter qu’un patient ait autant de dossiers indépendants que de services visités, tous partiellement redondants et tous évidemment incomplets. La réglementation a rapidement entériné cette évolution en consacrant l’existence d’un dossier d’hospitalisation, secondairement étendu aux consultations hospitalières. Pour dire les choses un peu directement ce fut, dans les années 1970, le premier ‘hold-up’ du dossier médical, confisqué par l’Administration hospitalière (et dans l’indifférence des médecins).

Un signe marquant de cette évolution a été qu’à la suite du vote de la loi n°78-753([1]), la « Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), chargée de veiller au respect de la liberté d'accès aux documents administratifs et aux archives publiques », s’est considérée, sans être démentie, comme compétente en matière de dossier d’hospitalisation et est intervenue à plusieurs reprises pour faire appliquer la réglementation de l’époque en l’interprétant toujours dans le sens de l’accès le plus large du patient au contenu du dossier. C’est ainsi que la CADA a imposé l’idée que l’ensemble des documents contenus dans le dossier médical était, par principe, communicable alors que les médecins prétendaient qu’une partie des annotations subjectives devaient rester confidentielles, invoquant sans succès l’article 45 du Code de déontologie[2].

…puis celui du dossier de santé de la personne

La loi 2002-303 du 4 mars 2002 « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé »; dite « Loi Kouchner » est venue compléter cette tendance en modifiant les articles L. 1111-1 à 9 du Code de la santé publique, et ouvrant au patient l’accès direct aux informations de santé le concernant et conservées dans le dossier médical hospitalier [3]. Lors de la préparation de la loi, plusieurs représentants d’associations de patients ont réclamé, parfois vigoureusement, qu’il soit définitivement précisé que le dossier médical est légalement la propriété du patient.

Ce second ‘hold-up’ légal n’a qu’incomplètement abouti, le législateur se refusant de justesse -pour l’instant ?- à faire ce dernier pas, le plus démagogique et qui aurait contredit les règles les plus essentielles de la propriété intellectuelle : le médecin, comme tout citoyen, n’a dit pas le droit de revendiquer la propriété de ses écrits ou des images qu’il produit ?

Et ce droit, pas plus que celui de tel ou tel photographe fameux ne fait bien sûr obstacle à la reconnaissance d’un droit de contrôle du patient sur les données ou sur les images le concernant (droit au respect à sa vie privée, droit à l’image…). Il est donc nécessaire que toute exploitation d’une image médicale autre que pour la prise en charge médicale de l’intéressé fasse l’objet d’une demande d’accord explicite (recherche, enseignement, publication, et encore plus utilisation artistique ou commerciale, telle qu’une publicité). Au minimum, dans un CHR & U, un avertissement signalant les possibilités d’utilisations pour la recherche et l’enseignement, missions intégrantes de l’établissement, devrait figurer dans le livret du patient et être rappelé dans les salles d’attentes et les déshabilloirs.

Le DMP, dernier avatar du dossier médical (pour l’instant ?...)

L’étape suivante remonte au vote de la Loi 2004-810 du 13 août 2004 « relative à l'assurance maladie », à l’occasion de laquelle le législateur a inséré dans le Code de la sécurité sociale la notion nouvelle de « dossier médical personnel (DMP)», après avoir failli le dénommer « dossier médical partagé ».

Ce DMP a donné – et donne encore - lieu à toute une série d’interprétations contradictoires, certains estimant qu’il devrait à terme se substituer au dossier médical hospitalier ainsi qu’aux archives des médecins libéraux, d’autres, considérant en revanche, qu’il pourrait évacuer la question de la « propriété » du dossier médical, en constituant, à côté du dossier de santé hospitalier ou des archives médicales des libéraux, un nouveau dossier individuel, alimenté par l’ensemble des médecins participants à la prise en charge du patient, et directement accessible à ce dernier, qui serait en outre libre de le confier à l’hébergeur de son choix et d’y donner accès à ses médecins comme bon lui semblerait. Le patient disposerait également de la faculté d’autoriser ou non l’inscription de ses antécédents médicaux dans ‘son’ DMP ou bien de celle d’y faire masquer certaines données considérées comme sensibles, en prenant alors le risque de perdre le bénéfice de la prise en charge sociale des frais médicaux en rapport avec ces omissions volontaires.

Dans cette acception optimiste, il faut seulement regretter l’ambiguïté résiduelle due au vocable de « dossier médical personnel », qu’il aurait été simple d’éviter par le choix des termes « dossier de santé personnel ». La loi, comme toute œuvre humaine, est perfectible…

Le contenu exact et le fonctionnement pratique du DMP restent à préciser, ainsi que l’importante question de son financement.

On peut toutefois s’inquiéter de ce que le législateur et le gouvernement affirment avec insistance que ce dossier ne devra servir que pour assurer la continuité et la qualité des soins individuels à la personne et que toute utilisation à des fins épidémiologiques ou de santé publique est totalement proscrite, fusse après anonymisation des données.

Alors que se développent les notions de santé publique et de médecine fondée sur les preuves (Evidence based medicine), il serait surprenant que la Société puisse songer à s’interdire durablement toute exploitation scientifique collective d’une telle banque de données, financée par elle, et qui pourrait permettre de rassembler les données nécessaires à la recherche et à l’enseignement du progrès médical. Il semble pour l’instant que le spectre du rejet d’un outil potentiel de surveillance intrusive des patients et des médecins motive cette position ‘prudente’…

L’arrêt du 7 décembre 2004 de la 1è Chambre civile de la Cour de cassation

Une compagnie d’assurance avait obtenu, pour pouvoir démontrer à la justice la mauvaise foi d’un assuré, qu’une Cour d’appel, ordonne au directeur d’un CHRU la production du dossier médical en vue de son expertise. Le directeur général du CHRU avait refusé de délivrer le dossier, puisqu’il ne disposait pas de l’accord de la personne concerné, et demandé à la Cour de cassation la rétractation de l’arrêt de la Cour d’appel.

La cour de cassation lui a donné satisfaction et cassé l’arrêt de la Cour d’appel, en confirmant « … que si le juge civil a le pouvoir d'ordonner à un tiers de communiquer à l'expert les documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission, il ne peut, en l'absence de disposition législative spécifique, contraindre un établissement de santé à lui transmettre des informations couvertes par le secret sans l'accord de la personne concernée ou de ses ayants droits, le secret médical constituant un empêchement légitime que l'établissement de santé a la faculté d'invoquer ; qu'il appartient au juge saisi sur le fond d'apprécier, en présence de désaccord de la personne concernée ou de ses ayants droit, si celui-ci tend à faire respecter un intérêt légitime ou à faire écarter un élément de preuve et d'en tirer toute conséquence quant à l'exécution du contrat d'assurance ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a donc violé les textes… »

La décision n°270234 du 26 septembre 2005 du Conseil d'État

Cette décision des 1ère et 6ème sous-sections réunies, statuant au contentieux, a été prise sur une requête du Conseil national de l’Ordre des médecins demandant le retrait d’un arrêté du Ministre de la santé du 5 mars 2004, qui homologuait des recommandations de l’ANAES relatives aux bonnes pratiques en matière d'accès aux informations de santé[4]. L’Ordre reprochait à ces recommandations, formulées en application de l’art. L.1111-9 du Code de la santé publique, de contredire notamment l’article L.1110-4 CSP lequel reconnaît à tout patient le droit « au respect de sa vie privée et au secret des informations le concernant».

Le Conseil d’État n’a pas suivi, sur un premier point, la requête de l’Ordre et a confirmé la recommandation de l’ANAES de délivrer les informations médicales concernant un patient à toute « personne mandatée par le patient, par ses représentants légaux (s’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur sous tutelle) ou par ses ayants droit en cas de décès, dès lors que la personne justifie d’un mandat exprès et peut justifier de son identité ».

Sur un second point en revanche, le Conseil d’État a suivi la logique proposée par l’Ordre, et a invalidé la recommandation ANAES avec son homologation ministérielle : il était préconisé aux médecins de confier l’intégralité du dossier médical d’un défunt à ses héritiers ou ayants droits, dès lors que ceux-ci prétendaient en avoir besoin pour comprendre les causes du décès, défendre la mémoire du défunt, ou encore faire valoir leurs droits. Le conseil d’État a considéré que le respect de la vie privée du défunt méritait d’être plus restrictif et «  que le législateur a entendu autoriser la communication aux ayants droit d’une personne décédée des seules informations nécessaires à la réalisation de l’objectif poursuivi par ses ayants droit ».

Le médecin (ou l’hôpital) à qui un ayant droit ou un mandataire demandent la communication du dossier médical d’un patient doit donc : (1) s’assurer de l’identité de l’ayant droit ou du mandataire, (2) contrôler la qualité de cet ayant droit (livret de famille, acte notarial…) ainsi éventuellement que de la pertinence du mandat présenté pour la demande, (3) vérifier le motif de la demande d’accès aux informations médicales du défunt ainsi que (4) l’absence de volonté contraire exprimée par la personne avant son décès, et enfin (5) ne transmettre que les pièces médicales correspondant au but recherché par l’ayant droit à l’exclusion (6) des informations recueillies auprès de tiers n’intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant de tels tiers, ces dernières informations n’étant jamais communicables.

Le décret 2006-6 du 4 janvier 2006 relatif à l'hébergement de données de santé à caractère personnel et l’instruction interministérielle du 14 août 2007 de la DHOS et de la Direction des archives de France

Outre les conditions d’agrément des hébergeurs des dossiers médicaux (DMP ou dossiers hospitaliers), ce décret précise la durée légale de conservation des archives médicales après le dernier contact avec le patient :

La durée de conservation des données médicales est ainsi désormais unifiée à 20 ans après le dernier contact hospitalier du patient (séjour ou consultation).

Ce délai d’attente de 20 ans avant d'effacer les données d’un patient doit en outre, être prolongé : (a) en pédiatrie, jusqu’au 28è anniversaire du patient ou (b) jusqu’au 10è anniversaire du décès d’un patient. Enfin, en cas de litige, (c) les données ne pourront être effacées qu’après le règlement définitif du dossier.

Une instruction interministérielle[5], cosignée le 14 août 2007 par la Directrice de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS, Ministère chargé de la santé) et la Directrice des archives de France (DAF, Ministère de la Culture) précise les modalités d’application des dispositions du décret 2006-6 du 4 janvier 2006 et l’abrogation de la précédente réglementation remontant au règlement des archives de France du 11 mars 1968, relatives à la conservation des données de santé et à leur éventuelle destruction au terme du délai de conservation prévu par la réglementation.

Ces questions juridiques sont décidément bien complexes et le lecteur radiologue se félicite probablement in petto que cette sorte de problèmes soit assez rare dans nos services d’imagerie. Il semblait cependant utile de les évoquer ici, d’autant que nombre de radiologues assument diverses fonctions administratives qui les exposent à ces tracas (chefs de pôle, membres ou présidents de CME, membres de CA ou de Conseil exécutif…).


 

[1] Loi du 17 juillet 1978 « portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal » parue au Journal Officiel du 18 juillet 1978.

[2] Article 45 du Code de Déontologie médicale, désormais intégré à l’article R4127-45 du Code de la santé publique (CSP): « Indépendamment du dossier de suivi médical prévu par la loi, le médecin doit tenir pour chaque patient une fiche d'observation qui lui est personnelle ; cette fiche est confidentielle et comporte les éléments actualisés, nécessaires aux décisions diagnostiques et thérapeutiques. Dans tous les cas, ces documents sont conservés sous la responsabilité du médecin. Tout médecin doit, à la demande du patient ou avec son consentement, transmettre aux médecins qui participent à sa prise en charge ou (les mots en gras ont été supprimés dans la version de 2004 intégrée au CSP) à ceux qu'il entend consulter, les informations et documents utiles à la continuité des soins. Il en va de même lorsque le patient porte son choix sur un autre médecin traitant ».

[3] Article L 1111-7 CSP : « Toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues par des professionnels et établissements de santé, qui sont formalisées et ont contribué à l'élaboration et au suivi du diagnostic et du traitement ou d'une action de prévention, ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats d'examen, comptes rendus de consultation, d'intervention, d'exploration ou d'hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en oeuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé, à l'exception des informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers.

« Elle peut accéder à ces informations directement ou par l'intermédiaire d'un médecin qu'elle désigne et en obtenir communication, dans des conditions définies par voie réglementaire au plus tard dans les huit jours suivant sa demande et au plus tôt après qu'un délai de réflexion de quarante-huit heures aura été observé. Ce délai est porté à deux mois lorsque les informations médicales datent de plus de cinq ans ou lorsque la commission départementale des hospitalisations psychiatriques est saisie en application du quatrième alinéa.

« La présence d'une tierce personne lors de la consultation de certaines informations peut être recommandée par le médecin les ayant établies ou en étant dépositaire, pour des motifs tenant aux risques que leur connaissance sans accompagnement ferait courir à la personne concernée. Le refus de cette dernière ne fait pas obstacle à la communication de ces informations.

« A titre exceptionnel, la consultation des informations recueillies, dans le cadre d'une hospitalisation sur demande d'un tiers ou d'une hospitalisation d'office, peut être subordonnée à la présence d'un médecin désigné par le demandeur en cas de risques d'une gravité particulière. En cas de refus du demandeur, la commission départementale des hospitalisations psychiatriques est saisie. Son avis s'impose au détenteur des informations comme au demandeur.

« Sous réserve de l'opposition prévue à l'article L. 1111-5, dans le cas d'une personne mineure, le droit d'accès est exercé par le ou les titulaires de l'autorité parentale. A la demande du mineur, cet accès a lieu par l'intermédiaire d'un médecin.

« En cas de décès du malade, l'accès des ayants droit à son dossier médical s'effectue dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article L. 1110-4.

« La consultation sur place des informations est gratuite. Lorsque le demandeur souhaite la délivrance de copies, quel qu'en soit le support, les frais laissés à sa charge ne peuvent excéder le coût de la reproduction et, le cas échéant, de l'envoi des documents. »

[4] Arrêté du 5 mars 2004 portant homologation des recommandations de bonnes pratiques relatives à l'accès aux informations concernant la santé d'une personne, et notamment l'accompagnement de cet accès (J.O n° 65 du 17 mars 2004, page 5206, texte n° 16, NOR: SANP0420786A)

[5] Instruction interministérielle DHOS 2007-322 et DAF 2007-014 NOR : SJSH0730928J