Prescription hors AMM d’un médicament
et responsabilités du médecin hospitalier

Vincent HAZEBROUCQ, MCU-PH de radiologie, AP-HP et Université Paris 5 René DESCARTES, directeur du diplôme universitaire d’imagerie médicolégale de Paris 5.
Renseignements disponibles sur www.hazebroucq.net

De nombreuses situations radiologiques peuvent conduire le médecin hospitalier à employer un médicament - produit de contraste ou autre – en dehors des indications prévues dans son autorisation de mise sur le marché (AMM). Cette situation inconfortable à plus d’un titre justifie d’en rappeler les aspects médico-légaux, à l’occasion de la récente publication du décret n° 2005-1023 [1].

En principe, le médecin doit s’efforcer de respecter les indications reconnues des produits qu’il emploie (médicament et/ou dispositifs médicaux). En cas d’évènement indésirable, l’utilisation d’un produit dans le respect de son AMM sera bien plus facile à justifier devant un juge que s’il a été employé en dehors de ses indications officielles.

Lorsque le produit est employé dans le respect de son AMM, son indication n’est cependant pas automatique.

Le radiologiste doit toujours pouvoir justifier sa conduite. Ainsi par exemple, en cas d’accident d’intolérance à un produit de contraste iodé injecté lors d’un scanner X pour une indication qui n’imposait pas vraiment l’opacification vasculaire, l’argument selon lequel ce produit était effectivement autorisé pour les examens scanographiques ne suffira évidemment pas à couper court aux critiques.

Inversement, un usage hors AMM n’est pas automatiquement condamnable, contrairement à une croyance assez répandue.

En effet, la liberté de prescription des médecins résulte de la liberté thérapeutique garantie par l’article L. 162-2[2] du Code de la sécurité sociale (CSS) et rappelée par l’article 8 du Code de déontologie médicale (CDM), codifié désormais à l’article R-4127-8 du Code de la santé publique (CSP) [3].

Mais il faut pouvoir justifier cet usage hors AMM, en se fondant sur des arguments médicaux scientifiquement établis [4], et respecter les précautions ci-après exposées :

1.      Il convient d’abord de s’assurer qu’il n’existe aucun produit autorisé qui répondrait parfaitement au besoin clinique. Si c’était le cas, et surtout si le produit que l’on souhaiterait employer était très comparable au produit autorisé, il serait nettement préférable d’utiliser ce dernier, sauf impossibilité réelle et documentée (telle qu’une rupture de stock alors que l’examen ne peut attendre un réapprovisionnement).

2.      Il faut ensuite mettre à part le cas d’une recherche biomédicale, soumise à toute une série de formalités particulières instituées par la loi dite « HURIET- SERUSCLAT » de 1988 modifiée en 2004 [5], (notamment un protocole très précis établi dans un dossier ayant reçu un avis positif du comité de protection des personnes, une autorisation écrite donnée par la personne après un consentement parfaitement éclairé, une assurance spécifique du promoteur).

3.      Il faut également distinguer le cas des autorisations temporaires d’utilisation, (ATU), régies par l’article L. 5121-12 du CSP[6], qui permettent la prescription et l’utilisation de médicaments en attente de leur AMM et lorsque « l’efficacité et la sécurité … sont fortement présumées (par l’AFSSAPS) au vu des résultats des essais thérapeutiques ». outre cette « ATU pré-AMM », demandée par le laboratoire qui compte distribuer le médicament et qui doit faire parallèlement la demande d’AMM, une « ATU nominative » peut-être demandée directement par un médecin prescripteur, pour une durée d’un an, pour traiter un ou plusieurs patients avec un produit non commercialisé en France, par exemple d’origine étrangère. Mais ce mécanisme d’ATU n’est pas possible pour employer, en dehors de ses indications classiques, un produit disposant déjà d’une AMM.

4.      Il existe évidemment bien d’autres cas en demi-teintes, qui ne répondent pas à la définition des recherches biomédicales (recherches organisées et pratiquées sur l'être humain en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales) sans pour autant être parfaitement « conformes à des données acquises de la science médicale » selon les termes classiques de la jurisprudence de la Cour de cassation pour caractériser la conduite que le patient peut exiger de son médecin depuis le célèbre Arrêt Mercier du 20 mai 1936. L’emploi hors AMM est par exemple quasiment inévitable en pédiatrie, les industriels pharmaceutiques faisant régulièrement l’impasse, pour des raisons d’économie, sur les essais médicamenteux de leurs produits chez l’enfant[7].

L’annexe du décret 2005-1023 ci-dessus cité rappelle opportunément que « …S'agissant des spécialités pharmaceutiques et des produits et prestations inscrits sur la liste prévue à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, leur utilisation doit être conforme dès la date de signature du contrat, soit à l'autorisation de mise sur le marché pour les spécialités pharmaceutiques, soit aux indications prévues par la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale pour les produits et prestations, soit aux protocoles thérapeutiques définis par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, la Haute Autorité de santé ou l'Institut national du cancer. À défaut, et par exception, lorsque le prescripteur ne se conforme pas aux dispositions précédentes, il porte au dossier médical l'argumentation qui l'a conduit à prescrire, en faisant référence aux travaux des sociétés savantes ou aux publications des revues internationales à comité de lecture ».

Cette exigence conditionne, au delà de l’appréciation de la responsabilité professionnelle du médecin, le remboursement éventuel de ces produits à l’hôpital par l’Assurance maladie dans le cadre du Contrat de bon usage des médicaments coûteux pour les patients hospitalisés. Ces dispositions complètent pour l’hôpital la règle instituée pour le remboursement des médicaments délivrés dans les pharmacies de ville par l’article L. 162-17 du Code de la Sécurité sociale : il prévoit que les médicaments ne peuvent être remboursés par les organismes d’assurance maladie que s’ils sont prescrits dans le cadre de leur AMM[8]. À défaut, le médecin doit inscrire NR (non remboursable) sur sa prescription, qui restera ; en principe, à la charge financière du patient. Ajoutons toutefois que les organismes d’assurance maladie n’appliquent pas toujours ce droit de refus de prise en charge.

5.      Le patient doit évidemment être spécifiquement informé de cet usage hors AMM (avec toutes ses conséquences, notamment financières) et avoir donné son accord après des explications suffisantes, adaptées à son état et à ses possibilités de compréhension. S’il n’est pas indispensable que cet accord prenne la forme d’un document écrit, le recueil de cet accord explicite doit être soigneusement noté dans le dossier du patient et dans le compte-rendu de l’acte, voire également dans un éventuel courrier adressé au médecin demandeur de l’examen, pour être à même de faire la preuve, en cas de litige, que l’on s’est effectivement préoccupé d’informer le patient, dans le respect de son libre arbitre et de son autonomie.

Rappelons au passage que, conformément aux recommandations de l’ANAES-HAS, il n’est plus envisageable de s’abriter derrière une ‘décharge’ signée par le patient : un tel document ne renforce pas la confiance du malade et indique trop visiblement au Juge que loin de chercher à protéger son patient, le médecin a surtout cherché à se protéger.

6.      Il importe également - en dehors d’une situation exceptionnelle - que cette pratique soit l’objet d’un protocole écrit du service, protocole qui doit être daté et signé par un médecin responsable, par exemple le chef de service, surtout dans le cas où cet emploi hors AMM serait le fait d’un praticien en formation (interne ou FFI).

Précisons enfin que depuis la loi KOUCHNER n°2002-303 du 4 mars 2002(modifiée) la jurisprudence GOMEZ de la Cour administrative d’appel de Lyon n’est plus de mise (responsabilité sans faute, pour risque).[9]

L’emploi par le radiologiste hospitalier ou la prescription d’un produit hors AMM démontre une fois de plus que les responsabilités juridiques et économiques des médecins sont étroitement intriquées et qu’elles ne peuvent plus être ignorées des praticiens, sous peine de déconvenues rapides et parfois cuisantes.

Une autre conséquence à tirer de cette revue médico-légale est l’absolue nécessité de disposer dans chaque service de protocoles radiologiques détaillant tous les aspects habituels de notre beau métier, et régulièrement mis à jour pour prendre en compte le progrès médical et les innovations juridiques.

 

 

Nota bene : le texte intégral des textes juridiques cités dans cette chronique est le plus souvent disponible en ligne sur le site web d’information juridique du Secrétariat général du gouvernement à l’adresse suivante : www.legifrance.gouv.fr.

Ce site présente à la fois leur version originale (conforme au texte de leur publication initiale au Journal officiel, JORF) et leur version « consolidée » c'est-à-dire mise à jour pour tenir compte des éventuels textes modificateurs survenus ultérieurement.

La recherche peut se faire par le numéro du texte, sa date et/ou les principaux mots clés du titre, ou plus rapidement par l’emploi de son code NOR.

Certains arrêtés ou circulaires ministériels, non parus au JORF, sont publiés dans les bulletins officiels (BO) du ministère concerné. Ils sont alors généralement disponibles sur le site web du département ministériel concerné, par exemple www.sante.gouv.fr pour le BO du Ministère chargé de la santé (rubrique documentation). Depuis 2009, ils doivent également, sous peine d'être automatiquement invalidés, figurer sur le site de publication des textes règlementaires du Secrétariat général du Gouvernement : www.circulaires.gouv.fr

Enfin, le site web du SRH (www.srh-info.org) contient une sélection des principaux textes utiles aux radiologistes des hôpitaux.


 

[1] Décret n° 2005-1023 du 24 août 2005 relatif au contrat de bon usage des médicaments et des produits et prestations mentionné à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale (NOR: SANS0522239D)

[2] Article L162-2 du CSS: « Dans l'intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d'exercice et de l'indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d'installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur à la date de promulgation de la loi 71-525 du 3 juillet 1971 ».

Article L162-2-1 du CSS : (Créé par l’article 17 de l’Ordonnance Juppé n°96-345 du 24 avril 1996) : « Les médecins sont tenus, dans tous leurs actes et prescriptions, d'observer, dans le cadre de la législation et de la réglementation en vigueur, la plus stricte économie compatible avec la qualité, la sécurité et l'efficacité des soins ».

[3] Article R. 4127-8 du CSP : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance.

Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins.

Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »

[4] Art. R. 4127-39 du CSP : « Les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé…. »

[5] Loi n° 88-1138 du 20 décembre 1988 relative a la protection des personnes dans la recherche biomédicale, modifiée par la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique (NOR: SANX0300055L).

[6] Article L5121-12 CSP : « Les dispositions de l'article L. 5121-8 ne font pas obstacle à l'utilisation, à titre exceptionnel, de certains médicaments destinés à traiter des maladies graves ou rares lorsqu'il n'existe pas de traitement approprié :

a) Et que l'efficacité et la sécurité de ces médicaments sont fortement présumées, au vu des résultats d'essais thérapeutiques auxquels il a été procédé en vue d'une demande d'autorisation de mise sur le marché, et que cette demande a été déposée ou que le demandeur s'engage à la déposer dans un délai déterminé ;

b) Ou que ces médicaments sont prescrits à des malades nommément désignés et, le cas échéant, importés dans ce but, sous la responsabilité de leur médecin traitant, dès lors que leur efficacité et leur sécurité sont présumées en l'état des connaissances scientifiques et qu'ils sont susceptibles de présenter un bénéfice réel.

L'utilisation de ces médicaments est autorisée, pour une durée limitée, par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, à la demande du titulaire des droits d'exploitation du médicament dans le cas prévu au a ou à la demande du médecin traitant dans le cas prévu au b du présent article.

Pour les médicaments mentionnés au a, l'autorisation est subordonnée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé à la condition qu'elle soit sollicitée dans le cadre d'un protocole d'utilisation thérapeutique et de recueil d'informations établi avec le titulaire des droits d'exploitation et concernant notamment les conditions réelles d'utilisation et les caractéristiques de la population bénéficiant du médicament ainsi autorisé.

Le demandeur de l'autorisation pour les médicaments mentionnés au a adresse systématiquement à l'agence, après l'octroi de cette autorisation, toute information concernant notamment les conditions réelles d'utilisation et les caractéristiques de la population bénéficiant du médicament ainsi autorisé ; il adresse également périodiquement au ministre chargé de la santé des informations sur le coût pour l'assurance maladie du médicament bénéficiant de l'autorisation octroyée.

Pour les médicaments mentionnés au b, l'autorisation peut être subordonnée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé à la mise en place d'un protocole d'utilisation thérapeutique et de recueil d'informations.

L'autorisation des médicaments mentionnés au a et au b peut être suspendue ou retirée si les conditions prévues au présent article ne sont plus remplies, ou pour des motifs de santé publique. »

[7] Après le Gouvernement fédéral des USA, la Commission européenne a décidé d’imposer -sauf impossibilité- aux laboratoires pharmaceutiques de faire effectuer des études pédiatriques pour toute demande d’AMM européenne.

[8] Article L162-17 CSS : « Les médicaments spécialisés, mentionnés à l'article L. 601 du Code de la santé publique et les médicaments bénéficiant d'une autorisation d'importation parallèle mentionnée à l'article L. 5124-17-1 du même code, ne peuvent être pris en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie, lorsqu'ils sont dispensés en officine, que s'ils figurent sur une liste établie dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État. La liste précise les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge ou au remboursement des médicaments.

Les médicaments inscrits sur la liste prévue à l'article L. 5126-4 du Code de la santé publique sont pris en charge ou donnent lieu à remboursement par l'assurance maladie lorsqu'ils sont délivrés par une pharmacie à usage intérieur d'un établissement de santé dûment autorisée. Cette liste précise les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge ou au remboursement des médicaments.

L'inscription d'un médicament sur les listes mentionnées aux premier et deuxième alinéas peut, au vu des exigences de qualité et de sécurité des soins mettant en oeuvre ce médicament, énoncées le cas échéant par la commission prévue à l'article L. 5123-3 du Code de la santé publique, être assortie de conditions concernant la qualification ou la compétence des prescripteurs, l'environnement technique ou l'organisation de ces soins et d'un dispositif de suivi des patients traités ».

[9] Cette décision fameuse avait retenu la responsabilité sans faute d’un Centre hospitalier public pour utilisation d’une thérapeutique nouvelle ; désormais l’article L. 1142-1 du CSP stipule que « … Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère…. »

En l’absence de faute, d’éventuelles conséquences anormales et graves d’un accident médical sont désormais indemnisées par la solidarité nationale, personnalisée en la matière par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).