Les protocoles radiologiques et leur importance médicolégale

Dr Vincent HAZEBROUCQ, radiologiste des hôpitaux (AP-HP), maître de conférences à l’Université René Descartes - Paris 5.  Prière d’adresser toute correspondance à vincent.hazebroucq@univ-paris5.fr

Des protocoles d’examens d’imagerie sont établis depuis de nombreuses années dans bon nombre de services ou de cabinets de radiologie, souvent au départ dans un souci d’efficacité : établir un protocole était souvent, pour le radiologiste, un moyen simple et pratique d’éviter d’être interrompu à tout bout de champ par un(e) manipulateur(trice) désirant savoir ce qu’il convenait de faire pour le patient suivant.

Dans les CHU, les protocoles étaient également considérés comme un outil didactique imposé aux radiologistes juniors, ou aux élèves manipulateurs, pour leur permettre rapidement d’obtenir une certaine autonomie dans les salles d’examens ainsi que comme un outil de reproductibilité pour les travaux de recherche rétrospective.

Lorsque les étudiants avançaient dans leur formation, ils comparaient les protocoles des différents services d’accueil, leurs avantages et leurs inconvénients, pour élaborer leur recette personnelle de l’examen idéal, en piochant çà et là les idées les plus séduisantes.

Dans les services fortement hiérarchisés, il était imposé de suivre le « protocole maison » ; ailleurs, chaque radiologiste senior tendait souvent à faire valoir sa différence, en s’écartant de ce que faisaient les autres. Une certaine limitation de cette ‘créativité individuelle’ résultait cependant de la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP), lorsqu’elle prévoyait que pour être coté selon le barème, l’examen devait comporter au moins tel nombre ou tel type de clichés et d’incidences radiologiques.

La plupart des lecteurs seront sans doute surpris par l’emploi de l’imparfait et du passé composé pour cette description, puisque la pratique décrite reste largement répandue.

Pourtant, si les préoccupation d’efficacité, de reproductibilité et le souci pédagogique sont toujours d’actualité, les importantes évolutions du cadre légal ou règlementaire et celles des attentes des patients, pour ne pas parler d’exigences, ont rendu obsolète cette conception historique des protocoles. Deux évolutions sociétales doivent être successivement évoquées :

Avec la judiciarisation de la médecine, les protocoles ont pris un aspect ambigu, pouvant, selon les cas dédouaner ou accabler le médecin :

Depuis 1936, il est admis que le médecin doit à son patient des « soins non pas quelconques mais consciencieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données acquises de la science »[1]. Ainsi :

-       s’il est ingénument répondu au Juge que l’on « …a fait à madame N… le protocole X…, comme on a l’habitude de le faire pour tout le monde… », le Juge traduira que « les soins ont été quelconques » donc « non attentionnés » et le sanctionnera.

-       si le médecin, mieux avisé ou plus informé, affirme avoir étudié attentivement et consciencieusement le cas particulier de madame N… ce qui lui a permis de déterminer qu’il convenait de lui appliquer le protocole X… comme étant la solution la plus appropriée à son état, le juge sera partiellement rassuré[2].

Le Juge se posera immanquablement ensuite la question de la validité du protocole, et afin d’y répondre, aura recours à un médecin expert à qui il demandera si ce qui a été fait est bien scientifiquement conforme aux règles de bonne pratique et à l’état de l’art, façon moderne d’exprimer les « données acquises de la science ».

Un expert consciencieux et bien formé ne se limitera pas à se demander s’il aurait pu faire la même chose à la même époque, mais il devra notamment :

-       rechercher s’il existait dans le service considéré un protocole validé (c'est-à-dire notamment daté et signé par un médecin responsable habilité à le faire), et dans l’hypothèse où ce protocole n’aurait pas été intégralement appliqué, en établir la raison ;

-       dans un second temps, commenter au juge le bien fondé de ce protocole, si possible par référence à des protocoles de référence, établis et publiés par une société savante (p. ex. la Société française de radiologie, SFR), un collège d’enseignant (p. ex. le Conseil des enseignants de radiologie de France, CERF) ou par une conférence de consensus. Ici aussi, s’il existe des divergences significatives entre le protocole national et celui établi dans le service de l’examen critiqué, l’expert devra en rechercher l’explication pour éclairer le juge et le patient mécontent.

Le lecteur aura compris l’importance dans chaque service de rédiger soigneusement les protocoles, de les dater et de les signer, mais aussi de les établir après s’être suffisamment documenté.

Dans le cas, où pour une quelconque raison, il serait choisi de s’écarter du protocole national de référence, il serait préférable d’en noter les raisons par écrit et de contrôler épisodiquement qu’elles raisons restent valables (par exemple la non disponibilité locale d’un accessoire, d’un produit…). Un dossier constitué à priori sera, s’il survient un souci judiciaire, bien utile pour éviter dans l’urgence de tenter rétrospectivement de se rappeler ce qui a bien pu conduire à telle ou telle décision.

Il faut également veiller, lorsque l’on rédige - et encore plus que l’on publie, notamment sur l’internet…, un protocole, se poser très pragmatiquement la question de son applicabilité.

Trop souvent, emporté par l’enthousiasme d’une super spécialisation, d’une volonté de ‘tirer la qualité vers le haut’ ou par la crainte d’être jugé ridicule ou insuffisamment volontariste, un spécialiste justement renommé publie des protocoles ‘idéalistes’ tout en reconnaissant officieusement que ses recommandations ne peuvent être suivies qu’une fois sur deux ou une fois sur trois. Lors de procédures judiciaires ultérieures, le piège infernal se referme sèchement, parfois sur l’imprudent lui-même : le patient mécontent, ses avocats ou ses médecins de recours ont beau jeu pour clouer au pilori le médecin dont l’examen contesté est jugé insuffisant, puisque non conforme aux recommandations publiées. L’internet a facilité leur recherche…

Ce type d’erreur a pu être handicapant pour la défense de praticiens consciencieux et réellement diligents, dans les domaines tels que l’échographie obstétricale ou d’infections nosocomiales, qui ont défrayé la chronique. Plutôt que d’en blâmer les juges, les médecins doivent reconnaître leurs propres erreurs et surtout éviter de les reproduire indéfiniment.

Á ce point de son propos, le chroniqueur doit avouer à ses lecteurs qu’il sait n’être pas meilleur ni plus intelligent que les autres ; il a lui aussi, sans aucun doute, commis certaines de ces erreurs, sinon toutes. Il n’a donc aucunement la prétention de juger autrui, mais plutôt de partager ses réflexions de ‘chat échaudé qui craint l’eau froide’ pour espérer mieux faire la prochaine fois. Par ailleurs, il fait sien l’argument, popularisé par Arthur Schopenhauer[3], selon lequel « les poteaux indicateurs ne suivent heureusement pas la route qu’ils indiquent - sinon à quoi serviraient-ils ?».

Le second motif de réforme de notre conception classique des protocoles radiologiques résulte de la réglementation de la radioprotection.

Depuis l’adoption par l’Union européenne des directives Euratom 96-29 et 87-43, maintes fois évoquées dans cette chronique, et surtout depuis leur transposition française, les protocoles sont devenus une obligation légale et réglementaire, et non plus ‘simplement’ une option pratique pour le radiologiste, ni une recommandation de bonne pratique professionnelle, que l’on pouvait ignorer tant que les patients ne se plaignaient pas devant le juge (ce qui reste suffisamment rare – heureusement – pour ne pas être toujours dissuasif…).

Il n’est sans doute pas superflu de rappeler ici les termes ces articles du Code de la santé publique :

Article R1333-69

Les médecins ou chirurgiens-dentistes qui réalisent des actes établissent, pour chaque équipement, un protocole écrit pour chaque type d'acte de radiologie ou de médecine nucléaire diagnostique qu'ils effectuent de façon courante, en utilisant des guides de procédures prévus à l'article R. 1333-71. Ces protocoles écrits sont disponibles, en permanence, à proximité de l'équipement concerné.

Article R1333-70

En liaison avec les professionnels et en s'appuyant soit sur les recommandations de pratiques cliniques établies par l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, conformément aux articles L. 1414-2 et L. 1414-3, soit sur l'avis concordant d'experts, le ministre chargé de la santé établit et diffuse un guide de prescription des actes et examens courants exposant à des rayonnements ionisants. Ce guide contient notamment les niveaux de référence diagnostiques mentionnés à l'article R. 1333-68.

Il est périodiquement mis à jour en fonction de l'évolution des techniques et des pratiques et fait l'objet d'une diffusion auprès des prescripteurs et réalisateurs d'actes.

Article R1333-71

Des guides de procédure de réalisation des actes exposant aux rayonnements ionisants sont publiés et mis à jour en fonction de l'état de la science. Ces guides contiennent notamment les niveaux de référence diagnostiques mentionnés à l'article R. 1333-68.

Article R1333-72

Les guides de prescription et de procédure de réalisation des actes prévus aux articles R. 1333-70 et R. 1333-71 doivent contenir des informations spécifiques pour :

- les actes concernant les enfants ;

- les actes concernant les femmes enceintes ;

- les actes de médecine nucléaire concernant les femmes qui allaitent ;

- les examens effectués dans le cadre d'un dépistage organisé des maladies mentionnées à l'article L. 1411-2.

Article R1333-73

Conformément aux dispositions du 3º de l'article L. 1414-1, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé définit, en liaison avec les professionnels, les modalités de mise en oeuvre de l'évaluation des pratiques cliniques exposant les personnes à des rayonnements ionisants à des fins médicales. Elle favorise la mise en place d'audits cliniques dans ce domaine.

Conclusions :

Il est de la responsabilité du chef de service de radiologie de s’assurer de l’existence, et de la disponibilité à proximité de chaque appareil radiologique, d’un recueil des protocoles des principaux examens réalisés sur cet équipement ; il doit aussi vérifier que ces protocoles sont bien datés et signés, pour être juridiquement valables, et sont conformes, sauf exception dûment justifiée, aux guides de procédures élaborés au niveau national (la publication officielle sous le sceau de l’ANAES se fait attendre…). De nombreux services radiologiques ont déjà produit des protocoles. Il serait sans doute pratique de les rendre publics pour les partager et les optimiser raisonnablement.

Il est de la responsabilité de chaque radiologiste de suivre autant que possible les protocoles validés au niveau du service, ou de le justifier (idéalement par écrit, dans le compte-rendu ou dans le dossier radiologique du patient). Enfin chacun doit contribuer, dans la mesure de ses moyens, à la rédaction des protocoles afin d’être sûr qu’ils correspondent bien à ce qu’il peut réellement faire.


 

[1] Arrêt MERCIER du 20 mai 1936 de la Cour de cassation.

[2] Il s’agit clairement souvent d’une simple nuance de l’expression d’une même réalité… Le lecteur doit se convaincre que juristes et médecins ayant des modes de raisonnement très différents, certaines différences, subtiles pour le médecin, dans la façon de dire les choses aboutissent inexorablement à des jugements opposés. L’inverse est tout aussi vraie, si l’on songe un instant aux expressions ‘mal aux reins’, ou ‘mal de cœur’.

[3] Philosophe allemand (1788 – 1860) dont « l’Art d’avoir toujours raison » est probablement le livre de chevet de bien des avocats, tant la mauvaise foi y est identifiée à l’art de la dialectique. Á lire, donc, préventivement…

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